Critique de
Marie-Christine Guidon
mcguidon@gmail.com
« Fermer, ouvrir – Le bal des mots dits de Catherine Andrieu », tel est l’intitulé de la préface de Jean-Paul Gavard-Perret qui résume l’authenticité touchante de cet opus. Une huile sur toile révélatrice « Léda peint le Cygne » de l’artiste Anora Borra illustre la couverture… « Léda ne peint rien du tout, le cygne, c’est elle » !
S’ensuivent plusieurs témoignages qui, d’un large éventail de qualificatifs, nous brossent un portrait de la poésie fantasmagorique et picturale de l’auteure. Cette anthologie, reprenant des textes récents, comporte également deux inédits « Le portrait fantasmatique d’Anora Borra » et « Des jours et des lunes ».
L’ouvrage est un véritable puzzle où imaginaire et réel se mêlent, se heurtent… où les pièces manquantes restent à découvrir. De l’irrésolu naît le vrai, le profond, le ressenti, indissociables du cheminement passé, présent et sinueux, à venir. Perdue dans l’opacité d’un espace-temps qui n’en finit pas de durer, Catherine Andrieu se livre sans faux-semblants, solfiant les événements douloureux de son existence, intensément, de sa plume exacerbée. Rester debout face aux jours inaccomplis, entre « l’été de Haydn » et « l’impromptu de Chopin », apprivoiser quelques mesures qui ne se mesurent que sur l’échelle des émotions, apprendre à survivre avec « l’ignominie du temps qui dévore les enfants », accepter de vivre avec les vicissitudes, l’improbable, la dramaturgie que la vie nous impose comme dans le théâtre antique… Alors que dire des flots tumultueux qui frappent inlassablement la digue, ce rempart érigé pour affronter les tempêtes infanticides ? Les écrits de Catherine Andrieu sont porteurs de béance, de cicatrices « Il y a la cruauté pourtant, et l’érotisme parfois morbide, mais l’on sait depuis Freud que l’enfant est un pervers polymorphe ! »
Tout ce que la terre porte en ses profondeurs sibyllines de noirceur et de cendres ne se transforme pas en feu d’artifice, c’est une évidence ; même si nous sommes emprisonnés dans une cage obscure il reste possible d’attraper quelques lucioles dans le secret des nuits étoilées, une forme d’accomplissement.
Les chats, Paname et Lune, astres bienveillants, générateurs d’amour inconditionnel illuminent d’ailleurs les pages de leur présence… les chats, synchronicité entre réalité et mutations du désespoir. Survivre, un enjeu capital, entre entraves et entrailles, quand parfois les touches du piano si cher à l’auteure, deviennent silencieuses. Pour autant, la solitude est terreau de création par excellence. La poésie onirique devient alors radeau, de ceux qui sauvent d’espoirs évanouis, des bois flottés sur un océan d’errance… une autre façon de revoir sa grammaire et son passé décomposé « Je suis une femme qui écrit. Ce que je ne suis pas ? Une personne engluée dans la matière »
Radicalement novatrice, Catherine Andrieu nous entraîne dans sa trajectoire cosmique au son de ses voix, des vibrations de sa musique intérieure, tempo effréné de son ressenti et puissance de son souffle !
Revue Florilège, numéro 197
Catherine Andrieu, Des nouvelles de Léda ?, Rafael de Surtis, 273 p., 25 €, ISBN 9782846725866