Critique de
Patrick Cintas
Des nouvelles de Léda ?
Catherine Andrieu
Éditions Rafael de Surtis, 2024
Ce qu’on devient et ce qu’on ne devient pas. Après avoir été. Est-ce ainsi qu’on « survit à l’enfance » ? La poète demande pourquoi. Pourquoi « les autres m’ont
violée alors que je voulais qu’ils m’aiment ? » Enfin jusqu’où la vie explique l’existence ?
Ce fort volume est composé sans préméditation. En effet il étage l’un après l’autre les recueils qui se sont succédés, sans toutefois nous informer sur les dates qui bornent ce temps passé aussi
à écrire. Sauf que ces recueils ne recueillent rien ; ils n’affichent pas ; au contraire ils composent et par conséquent chacun de ces titres représente l’aventure d’un poème. Ainsi va ce lyrisme
vadrouillant dans les sentiers qui traversent la chanson et la pratique du journal ou de la lettre. La langue connaît ces limites. Elle parle, explique mais en parlant, toujours en face de
l’interlocuteur supposé lecteur. C’est une proposition d’engagement total sinon rien. Et comme c’est écrit pour être aussi bien senti que compris, ça chante.
Le côté épique du livre n’en est pas moins fourni. Et d’égale longueur. S’agit-il de priver le lecteur de toute propension à l’identification ? Comme si moi je suis moi ? Le contraindre à revoir
la leçon dispensée par son expérience du voisinage et des plaisirs ? Pourquoi pas si au fond l’interprétation du texte passe par sa compréhension. Quoique la tentation d’applaudir soit forte. Et
bien que le je poétique n’invite pas les miroirs de l’appartement, mais les feuilles devant soi qui ressemblent tellement à des feuilles, si on y songe —expérience de la forêt exigée. Et de
l’automne aux lourds tombeaux.
Les préfaces d’abord, toutes signées de connaissances et connaisseurs, jouent leur rôle de narratrices issues des coulisses de ce théâtre de l’égo —entre la méditerranée et l’océan, via Paris et
autres forêts encore. Puis s’implique l’entretien, avec la poète elle-même, qui ne manque pas de faciliter la lecture du texte poétique, sans toutefois lui tordre les poignets, l’invitant à
prendre le temps, peut-être tranquillement mais sans perdre de vue la tragédie en jeu ici.
Quoiqu’il s’agisse aussi bien d’une comédie. Si jamais ce chemin (caminante no hay camino, dit le poète, mais bon, pour une fois…) mène quelque part, « entre le monde terrestre et le sacré. » Car
après tout Catherine Andrieu n’a pas encore atteint l’âge canonique qui retrouve l’enfance. Quel chemin, depuis ces « vitres peintes en noir » !
Évidemment, ce livre ne se résume pas à son chant, parfaitement audible et agréable à l’oreille, ni à ses philosophies brouillées par les questions elle-mêmes hypothétiques. Moins encore à ses
nécessaires narrations, rapportées en préfaces ou projetées en paroles d’auteur qui ne s’envolent jamais trop loin de l’esprit, le mien, le vôtre, comme si la poète nous retenait, non point par
le colbac, mais simplement par l’authenticité des sentiments et des idées, noires si possible, qui nous dépossèdent sans doute de nos parades habituelles.
Le texte lui-même accepte de déborder hors de son vase littéraire. L’autobiographie de cette « petite schizophrène » n’envahit toutefois pas la poésie au point d’en affecter les transparences
d’ombres et de douleurs. « Le rêve est un jambon pendu au plafond, » dit le poète adjacent. Ici, cette chair travaillée à l’air libre de vents et de marées voit dans la mire une « osmose
ataraxique » qui n’a pas lieu entre humains, ou pas comme on veut aimer, mais que la vie même semble promettre, si l’on veut bien prendre le temps de regarder où c’est encore possible, par
exemple dans les yeux d’un chat. Fixement, au fil peut-être d’une pararanoïaque-critique retrouvée, faute de temps et d’enfant.
Une pareille profondeur de méditation et de connaissance mérite en effet d’être réunie, et réunie sans cesse, jusqu’à la fin, entre la société des hommes et leur mort, terrible attente peut-être,
mais formidable puissance de la lumière sur soi. Beau et inséparable bouquin, je vous le dis !
Patrick Cintas
https://www.lechasseurabstrait.com/revue/spip.php?article22512=