Postface de
Notre-Dame des Brumes
Nicolas Jaen, Rafael de Surtis, 2020
Comme Gilles Deleuze disait que l’herbe pousse par le milieu, c’est par le milieu qu’il faut lire ce très beau récit de Nicolas Jaen. Tout commence ainsi, en son centre, par la scène du papillon,
depuis l’anamnèse jusqu’au tombeau, dans ce texte où le présent n’a de présence que douloureuse. « Je pleurais déjà, avant d’être blessé ». Il s‘agit d’une lettre, d’amour ou de rupture, d’amour
présentifié par la conscience anticipée de l’absence, comme si la mort levait ses voiles sur la vie. « Ce n’est pas que je ne t’aime plus, non -c’est que je t’aime trop haut, trop fort »,
comme le vol d’un papillon de nuit. Ce dernier aura vécu quelques instants seulement avant de se noyer, et sa mort préfigure et précipite la fin d’un amour, qui n’aura duré que l’instant de ce
vol, un instant pourtant interminable. Il faudrait décrire la dentelle, la délicatesse de cette scène fondatrice. Pour le narrateur et son double, « le mélancolique », il s’agit de « border un
cadavre », et la belle endormie n’a pas l’idée de ce qui se trame, de la tragédie du papillon... Ce n’est pas seulement une lettre, mais c’est « l’histoire (...) d’un déclin ». L’ombre de la
psychiatrie plane au-dessus du narrateur qui recommence sans cesse à pousser son rocher, tel Sisyphe ou le jeune aliéné qui comptait ses cailloux à l’asile. Nicolas Jaen, dans cette narration si
subtile, passe de la légèreté comme aile de papillon, à la gravité, c’est ce qui la rend si forte. « Le passage du trauma au rire était consommé ». La peur de la perte est du côté de l’enfance,
la croyance en la mort une folie d’adultes. Et pourtant... La mort de la mère du Mélancolique apparaît comme le phantasme de la perte de sa propre mère pour le narrateur. Or, ce deuil- là semble
comme impossible à faire, la mère étant celle que l’on appelle au secours. Mais la mère universelle vers laquelle se tourner en dernière instance est-elle brume ou réalité ? « Notre-Dame des
Brumes existait-elle ou était-ce une hallucination ? ». Comme toujours chez Nicolas Jaen, il y a une dimension spirituelle, allant jusqu’au mysticisme, qui nous saisit. La « visitation » du
papillon révèle l’incommunicabilité de deux êtres : « Je suis parti te faire l’amour. J’ai eu froid d’un coup en repensant au papillon. Je me suis arrêté. Tu as dit « Qu’est ce qui se passe ? « ,
j’ai dit « Rien », et nous avons été séparés par une paroi d’air. » Le chat veille sur la dépouille de l’insecte majestueux tel le Dieu Egyptien Anubis, préposé à la pesée des cœurs ; or, il y
aurait bien un autre cœur à peser dans cette balance... « Ecrivant, c’est-à-dire étant écrit, traversé par quelque chose de plus vaste, beaucoup plus vaste que moi, quelque chose qui ne disait
pas son nom (...) » Et ce quelque chose, ce « mot-trou » comme l’appelait Duras, ne serait-ce pas Dieu ? Le narrateur croit d’ailleurs être en partie le père de Jésus.. Les Paradis artificiels
aident à la perception, l’élévation, au délire et à la transfiguration. « Et non, je n’ai plus eu mal. Parce qu’il y a eu transformation. Métamorphose même. Ça y est, a dit mon cœur. Ça y est, je
vole. »
Catherine Andrieu