Postface de
Le voleur d'êtres
Nicolas Jaen, Rafael de Surtis, 2022
Cette petite pièce de théâtre est le récit d’une absence de destin. L’humain est sur la corde raide, seul en scène avec la légèreté et les modulations de voix de Maryse Courbet, comédienne ayant
influencé l’auteur parce que d’elle et jusqu’au plus tragique elle savait faire sourire les spectateurs. L’on y retrouve la grâce et la légèreté d’un Zarathoustra par Nietzsche. « Je ne
peux pas te donner le paradis, me disait-il, mais une âme légère quand tu danses. » Pas d’arrière-monde, donc, mais le Cosmos qui échappe, d’une perte d’équilibre si belle qui est un exister sans
contenu et si fragile. Alors qui est l’auteur d’un texte dont les touches frappées sur la machine à écrire deviennent battements de cœur des personnages, sinon Dieu lui-même, qui décide de qui
est mort ou vivant ou mort-vivant ? La narratrice est nue sur scène, telle qu’en son miroir elle se voit, et ne peut se recouvrir d’un mot puisque le mot lui est dicté depuis Ailleurs. C’est
l’existence elle-même qui est volée par le grand Marionnettiste ordonnateur. En effet la colère et l’amour échappent, sentiments humains, trop humains. Cette présence absentée sur scène, c’est
lui, ce créateur cruel qui s’en fait des souvenirs. Et, si l’enfant va manquer à la narratrice, c’est que la narratrice se manque d’abord à elle-même... Jusqu’à ce sursaut d’être, « existence qui
lui saute aux yeux ». Et, face à la beauté de la mer, d’une grand-mère aimée ou d’une Ipomée, l’on recouvre un peu son âme, âme d’enfant qui a peur des loups. Après ça, dit la narratrice, «
Je pourrai mourir » . « Il faut la mourir, cette vie, pour la vivre ». Et si la pierre souffre de ne pas parler, monde d’imperfection, « la joie est plus profonde que la tristesse », et le
Voleur d’êtres se fait Grand Chat pour accueillir la narratrice enfin incarnée dans une offrande mystique.
Catherine Andrieu